Présentation du rapport d’activité 2022 à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le président,
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs,
Permettez-moi d’abord d’exprimer mes vives félicitations à toutes celles et tous ceux d’entre vous qui ont été élus ou réélus à l’occasion du récent renouvellement du Sénat. J’ai naturellement une pensée particulière pour vous, monsieur le président, qui venez d’être reconduit à la tête de cette belle commission. Je salue aussi la nomination de monsieur Vial sur des sujets que nous aurons en partage. Je suis très heureux que nous puissions poursuivre nos échanges, auxquels j’accorde, vous le savez, la plus grande importance. L’Arcom a toujours eu la chance de bénéficier de l’écoute et du soutien de votre commission, dont l’investissement et l’expertise reconnus dans le domaine audiovisuel sont très précieux pour tout le secteur. Les défis auxquels sont confrontés les acteurs, publics et privés, de notre paysage audiovisuel rendent en effet plus nécessaire que jamais l’attention des pouvoirs publics aux difficultés qu’ils rencontrent.
La présentation devant votre commission de notre premier rapport d’activité va me permettre :
- d’abord, de revenir sur le bilan de l’Arcom, une autorité profondément transformée, depuis cinq ans et pleinement opérationnelle (1) ;
- ensuite, d’évoquer les transformations à l’œuvre dans le secteur, et leurs implications pour les opérateurs comme les pouvoirs publics (2)
- enfin, d’aborder quelques grands chantiers de l’Arcom pour l’année à venir, la dernière de mon mandat (3).
1. Comme en témoigne ce premier rapport d’activité, l’Arcom a été à pied d’œuvre dès sa création pour remplir ses différentes missions et achever sa transformation.
Quelques chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2022, le collège s’est réuni 77 fois en format plénier, a étudié près de 1100 dossiers et organisé 38 auditions.
1.1. Je rappelle quelques échéances majeures de ce premier exercice :
- les élections présidentielles et législatives, qui ont fortement mobilisé nos équipes en charge du pluralisme, en lien étroit avec les médias audiovisuels, les plateformes numériques, les partis politiques et les équipes des différents candidats. Nous préparons dès à présent le scrutin européen, de juin 2024 ;
- d’importants projets de consolidation dans le secteur (le projet de fusion de TF1 et M6, le projet d’OPA de Vivendi sur Lagardère), qui ont impliqué une instruction approfondie de notre part ;
- le processus de nomination aux présidences de Radio France d’une part et de France Médias Monde d’autre part ;
- le renforcement de notre engagement européen et international, au sein du réseau européen des régulateurs, l’ERGA, mais aussi du réseau francophone, le REFRAM, dont nous avons pris la présidence en 2022 jusqu’à la fin 2024 ;
- la mise en œuvre de nos nouvelles missions en matière de lutte contre le piratage, avec plus de 1600 sites illicites bloqués pour cette première année dans le seul domaine du sport. A cet égard, nous pensons que le cadre juridique adopté en 2021 pourrait être renforcé concernant le piratage culturel, en accélérant les délais de traitement pour limiter les phénomènes de contournement et étendre la portée du dispositif.
Au-delà de ces importants dossiers, je n’oublie pas d’autres projets structurants de 2022, comme le lancement de l’observatoire des podcasts, le déploiement de la radio numérique terrestre, qui couvrira prochainement plus de 60% de la population métropolitaine, notre nouvelle campagne « Enfants et écrans » ou encore la conclusion des contrats climats.
1.2. Nous avons conduit en parallèle la transformation de notre institution
Plusieurs chantiers ont été menés de front : l’élargissement du collège à 9 membres désignés par 5 autorités différentes, l’adoption d’un plan stratégique, la mise en place d’une direction de la création et la montée en puissance de notre direction des plateformes en ligne, la fusion de nos instances sociales et de nos règlements de gestion, sans oublier le regroupement dans nos locaux de l’ensemble des collaborateurs.
Nous allons d’ailleurs chercher une nouvelle implantation, notre propriétaire nous ayant fait part de son intention d’effectuer des travaux de grande ampleur dans notre site historique, la Tour Mirabeau. Nous emménagerons dans nos nouveaux locaux au plus tard fin 2024.
2. Un mot des transformations de notre paysage audiovisuel, qui impliquent d’être à l’écoute et en appui de nos opérateurs nationaux pour accompagner leurs réorientations stratégiques
2.1. Ces transformations sont de trois ordres
Nous observons d’abord une révolution des usages. Elle s’exprime notamment par une bascule de la consommation vers les contenus à la demande : alors que la durée d’écoute de la télévision (DEI) est en diminution structurelle, 50 % des foyers français sont désormais abonnés à un service de vidéo à la demande. L’âge moyen des téléspectateurs est à présent de près de 58 ans [+10 en dix ans], près de 65 ans pour le service public, et les jeunes privilégient d’autres vecteurs et d’autres contenus. 2/3 des moins 15 ans se rendent chaque jour sur Snapchat et les réseaux sociaux constituent le premier mode d’accès à l’information pour 71 % des 15-34 ans.
Cette transformation des habitudes est portée par de nouveaux équipements audiovisuels. Les écrans se multiplient (six par foyer en moyenne) et 88% des foyers équipés d’un téléviseur avaient une smart TV fin 2022. Le téléviseur devient un magasin d’applications et ses usages « hors télévision » représentent d’ailleurs entre un tiers et la moitié du temps qu’y consacrent les 4-34 ans.
Les nouvelles réalités des usages et modes de réception entraînent une reconfiguration du marché. Les plateformes internationales de streaming vidéo constituent pour nos groupes nationaux une concurrence croissante sur l’acquisition, les coûts et la diffusion de programmes inédits et sur l’accès aux talents. Notre paysage national est également percuté par le poids croissant des acteurs numériques, pour la plupart extra-européens, qui absorbent plus de la moitié des ressources publicitaires consacrées aux médias. En 2022, les 2/3 des recettes de la publicité numérique en France étaient captés par Google, Meta et Amazon.
2.2. Dans ce contexte, il importe de préserver le modèle économique et culturel de nos acteurs nationaux
Tous les groupes audiovisuels sont aujourd’hui engagés dans des réorientations stratégiques. Celles-ci les amènent à consentir des investissements importants et soulignent un dynamisme et une résilience qui font honneur au secteur. Nos groupes, qu’ils soient publics ou privés, cherchent à conquérir de nouveaux publics, en renforçant leur stratégie digitale et éditoriale, et à diversifier leurs modalités de distribution. Nous pouvons être fiers de cela.
Pour les acteurs privés, cette nouvelle donne implique de dégager des marges de manœuvre financières, en particulier pour faire face à la concurrence sur les revenus publicitaires. Face aux asymétries réglementaires, l’heure est probablement venue d’engager une réflexion sur des adaptations, qu’il s’agisse des secteurs interdits de publicité ou encore du régime des mentions légales en radio.
Pour l’audiovisuel public, qui joue un rôle fondamental dans l’équilibre de notre paysage et dont l’indépendance et les modalités d’action doivent être garanties, le Gouvernement a fait connaitre la trajectoire pluriannuelle de financement qu’il propose pour la période 2024-2028. L’Arcom a souvent eu l’occasion de le dire : un service public fort est un service public bien financé, mais aussi capable d’organiser les synergies éditoriales et organisationnelles nécessaires pour mieux remplir sa mission au service des Français.
A cet égard, la réussite du processus de rapprochement des réseaux régionaux de France Télévisions et Radio France, tout comme le développement de Franceinfo:, exigeront vraisemblablement une réponse appropriée en termes de gouvernance pour piloter efficacement ces projets structurants.
3. Tous ces chantiers seront au cœur des priorités de l’Arcom pour l’année à venir, qui sera une année à fortes échéances – ce sera mon dernier point
3.1. L’Arcom poursuivra d’abord son engagement dans la mise en œuvre du règlement européen sur les services numériques.
Ce texte, entré dans sa première phase d’application le 25 août 2023 et pleinement applicable au 17 février 2024, renouvelle profondément nos missions en matière de supervision des plateformes en ligne. Il renforce aussi singulièrement notre positionnement européen, auprès de la Commission comme de nos homologues. Pour porter ces missions exigeantes, nos équipes sont en cours de consolidation, grâce aux moyens qui nous ont été alloués dans la loi de finances 2023 et qu’il est proposé de nous accorder dans le projet de loi de finances 2024. Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique prévoit de nous désigner coordinateur pour la France aux côtés de la CNIL et de la DGCCRF, responsabilité à laquelle nous nous préparons activement.
3.2. Plusieurs dossiers majeurs en télévision et en radio figurent aussi dans notre feuille de route
- tout d’abord, les autorisations de quinze services de la TNT nationale arriveront à échéance en 2025, dossier à très fort enjeu pour le secteur. Conformément à la loi, nous avons mené une consultation publique dont la synthèse sera rendue publique très prochainement et nous achevons une étude d’impact qui sera également publiée avant la fin de l’année. C’est un travail très riche sur l’état de la télévision aujourd’hui, en France. Nous lancerons dans les premières semaines de 2024 un appel à candidatures pour l’attribution des fréquences arrivant à échéance. Le Gouvernement a aussi souhaité que France Télévisions puisse déployer l’ultra haute définition dans la perspective des Jeux de Paris 2024, ce que nous venons d’autoriser ;
- ensuite, dans le secteur de la radio, nous poursuivrons nos travaux pour étendre le DAB+ et finaliser notre livre blanc sur l’avenir de ce média, dont j’avais annoncé le principe ici-même et dont les conclusions seront présentées au premier trimestre 2024 ;
- enfin, un autre dossier d’ampleur, qui touche à notre souveraineté, est devant nous : celui des services d’intérêt général, qui vise à préserver la bonne exposition de nos acteurs nationaux et de leurs programmes dans le nouvel univers des interfaces d’accès aux services audiovisuels. Là également, nous serons amenés à statuer dans les toutes prochaines semaines.
Sur tous ces sujets, les Etats généraux de l’information, auxquels l’Arcom entend contribuer, offrent l’occasion d’une réflexion transversale et approfondie pour préparer l’avenir d’un secteur placé au cœur de notre démocratie et de notre vie quotidienne. Les travaux menés à l’échelon européen, notamment sur l’intelligence artificielle et la liberté des médias, contribueront aussi à doter notre continent d’un cadre juridique adapté aux transformations du moment. Car, nous le savons bien, d’importants défis sont devant nous. Je n’en citerai que trois :
- permettre à nos médias nationaux de se doter d’un modèle économique résilient pour assurer leurs missions, notamment celle de nous informer, alors que la situation internationale et les défis que traversent nos sociétés nécessitent plus que jamais une information pluraliste, honnête, indépendante et rigoureuse, qui contribue pleinement à la formation des opinions publiques et au débat démocratique ;
- lutter plus efficacement contre la désinformation, la haine en ligne, les ingérences étrangères et toutes les actions déstabilisatrices des « ingénieurs du chaos » qui ciblent notre pays, notre continent et ses valeurs ;
- protéger la liberté d’expression et le pluralisme des médias dans un climat de polarisation extrême et d’intolérance croissante.
L’Arcom est pleinement mobilisée, à la place qui est la sienne, sur l’ensemble de ces réflexions stratégiques. Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.