Présentation du rapport d’activité 2022 devant la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale
Seul le prononcé fait foi
Madame la présidente,
Mesdames et messieurs les députés,
Je suis heureux de vous retrouver une nouvelle fois dans cette enceinte pour vous présenter le premier rapport d’activité de l’Arcom. Ce moment privilégié d’échanges est pour moi l’occasion :
- d’abord, de partager avec vous les constats et les analyses de l’Autorité sur les mutations à l’œuvre dans notre paysage audiovisuel et numérique ;
- ensuite, de dresser un premier bilan de l’action de l’Arcom, celui d’une autorité profondément transformée depuis 5 ans et pleinement opérationnelle ;
- enfin, d’évoquer notre feuille de route et les grands dossiers de l’Autorité pour l’année qui vient.
1. S’agissant des transformations en cours de notre paysage sous l’effet de la transition numérique, je serais tenté de parler d’une triple révolution.
- Première révolution : celle des usages (voir document de présentation, page 2)
Nous observons aujourd’hui une forme de paradoxe. D’un côté, nous n’avons jamais passé autant de temps à regarder des contenus sur nos multiples écrans, près de 6 par foyer. Pour reprendre le titre du dernier livre de Bruno Patino, nous vivons une véritable « submersion ». 50 % des foyers français sont désormais abonnés à un service de vidéo à la demande, qu’ils regardent en moyenne 30 minutes par jour.
Cependant, de l’autre côté, même si elle demeure encore très élevée (202 mn), la durée d’écoute de la télévision (DEI) est en diminution structurelle (voir document de présentation, page 3):
- elle a pressé de près de 20% depuis 2020, avec un vieillissement accéléré des téléspectateurs.
Le constat est sans appel : l’âge moyen du téléspectateur est à présent de 57 ans [+10 en dix ans] et les jeunes regardent de moins en moins la télévision, pour privilégier d’autres vecteurs.
2/3 des moins 15 ans se rendent quotidiennement sur Snapchat, suivi de près par Tiktok et Instagram, et 71 % des 15-34 ans consultent l’actualité via les réseaux sociaux, qui sont pour eux le premier mode d’accès à l’information (voir document de présentation, page 4).
- Deuxième révolution : celle des acteurs.
D’abord, la structure du paysage est bouleversée par la place occupée par les plateformes internationales de streaming vidéo, avec un marché dominé par Netflix, Amazon et Disney. Par leur force de frappe technologique et financière, elles constituent pour nos groupes nationaux une concurrence croissante sur l’acquisition, les coûts et la diffusion de programmes inédits, en audiovisuel comme en cinéma, et sur l’accès aux talents. Ce climat d’hyper-concurrence, qui est loin d’être stabilisé, pousse d’ailleurs aux opérations de consolidation, comme celles observées aux Etats-Unis ces dernières années (Disney-Fox, Warner-Discovery, etc.).
(voir document de présentation, page 5) En second lieu, le paysage est également percuté par le poids croissant des acteurs numérique, pour la plupart extra-européens, qui absorbent à eux seuls plus de la moitié des ressources publicitaires consacrées aux médias. En 2022, nos médias traditionnels tiraient seulement 12 % de leurs recettes publicitaires totales de leurs offres numériques. La même année, 66 % des recettes de la publicité numérique en France étaient captées par 3 acteurs extra-européens : Google, Meta et Amazon.
- Troisième révolution : celle de la distribution des contenus (voir document de présentation, page 6)
La réception TNT, qui a longtemps dominé notre paysage, est aujourd’hui assez vigoureusement concurrencée. En net recul, elle n’est désormais le seul mode d’accès à la télévision que pour un peu moins de 20% des foyers. A l’inverse, les téléviseurs connectés sont en croissance très rapide : 88% des foyers équipés d’un téléviseur avaient une smart TV fin 2022. La distribution directe via internet (OTT) vient bousculer le modèle historique de la box.
Le téléviseur se transforme en véritable magasin d’applications à l’image de nos smartphones. Les usages du téléviseur « hors télévision » représentent déjà entre un tiers et la moitié du temps qu’y consacrent les 4-34 ans.
Au terme de ce rapide panorama, vous l’aurez compris : le monde change sous nos yeux et ces changements sont lourds de conséquences pour nos acteurs nationaux, publics ou privés, pour notre souveraineté culturelle mais aussi pour notre modèle d’information indépendante et pluraliste.
Et dans le contexte que je viens de décrire, il aurait été incompréhensible que le régulateur ne change pas à son tour pour mieux accompagner les opérateurs mais aussi les publics face à cette nouvelle donne. C’est le sens de la création de l’Arcom et je tiens ici à remercier le Parlement, et en particulier votre commission, pour avoir permis loi après loi - c’est je crois cette année la 12ème - cette transformation en profondeur de l’Autorité au cours des 5 dernières années.
2. Comme en témoigne la densité de son premier rapport d’activité, l’Arcom, ce sera mon deuxième point, est une institution pleinement opérationnelle.
2.1.En premier lieu, nos compétences s’étendent désormais à trois familles d’acteurs, de plus en plus imbriquées :
- d’abord bien sûr, les médias audiovisuels traditionnels, télévisions et radios et leurs prolongations numériques, qui continuent de jouer un rôle prépondérant dans l’accès et le financement de l’information, la culture et le divertissement. Nous veillons au respect de leurs obligations, en matière de pluralisme, de représentation de la diversité ou encore d’honnêteté de l’information ;
- ensuite, les services de vidéo à la demande, y compris internationaux, qui contribuent désormais, depuis la directive « SMA » de 2018, au financement de la création française, sous notre contrôle. Nous avons publié un premier bilan qui met en avant la dynamique de leurs contributions : 140 M€ pour la seule année 2021, demi-année de première application de cette réglementation ;
- enfin, les plateformes en ligne, réseaux sociaux ou moteurs de recherche, dont nous supervisons les moyens pour lutter contre les fausses informations, la haine en ligne et les contenus inappropriés.
Notre champ d’action va ainsi de TF1 à Meta en passant par Radio France et Netflix.
2.2. En second lieu, depuis le 1er janvier 2022 l’Arcom a été à pied d’œuvre pour remplir ses différentes missions tout en achevant son processus de transformation.
Je citerai pour mémoire quelques grandes échéances d’une année 2022 qu’on peut qualifier sans peine d’inédite pour l’institution :
- Les élections présidentielles et législatives, qui ont fortement mobilisé nos équipes en charge du pluralisme, en lien étroit avec les médias audiovisuels, les plateformes, les partis et les équipes des différents candidats. Nous préparons dès à présent le scrutin européen de juin 2024 ;
- d’importants projets de consolidation dans le secteur (TF1-M6, le projet d’OPA du groupe Vivendi sur le groupe Lagardère), qui ont impliqué une instruction approfondie de notre part ;
- le processus de nomination aux présidences de Radio France et de France Médias Monde ;
- la mise en œuvre de nos nouvelles prérogatives en matière de protection de la création et de lutte contre le piratage, avec plus de 1600 sites illicites bloqués pour cette première année dans le seul domaine du sport. Il y a un avant et un après la création de l’Arcom, en la matière ;
- le renforcement de notre engagement européen et international, au sein du réseau européen des régulateurs mais aussi du réseau francophone, dont nous avons pris la présidence jusqu’en 2024.
Je n’oublie pas bien sûr d’autres projets non moins essentiels pour ce bilan 2022, comme le lancement de l’observatoire des podcasts, le déploiement de la radio numérique terrestre, qui couvre désormais plus de 50% de la population métropolitaine, notre nouvelle campagne « Enfants et écrans » ou encore la conclusion des contrats climats.
En parallèle, nous avons également dû mener à bien notre transformation, avec l’élargissement du collège à 9 membres, l’adoption d’un plan stratégique, la mise en place d’une direction de la création et la montée en puissance de notre direction des plateformes en ligne, la fusion de nos instances sociales et de nos règlements de gestion, sans oublier le regroupement dans nos locaux de l’ensemble des collaborateurs. Nous allons d’ailleurs chercher une nouvelle implantation d’ici fin 2024, notre propriétaire nous ayant fait part de son intention d’effectuer des travaux de grande ampleur et donc de ne pas renouveler le bail de notre site historique, Tour Mirabeau.
3. J’en arrive maintenant à mon troisième et dernier point, pour aborder notre feuille de route pour l’année qui vient
3.1. Plusieurs échéances de premier plan attendent l’institution d’ici 2025
L’Arcom est d’abord pleinement engagée dans le déploiement du règlement européen sur les services numériques, entré dans sa première phase d’application le 25 août dernier pour les très grandes plateformes. Ce texte renouvelle profondément nos missions en matière de supervision des plateformes en ligne et renforce notre positionnement dans le jeu européen, auprès de la Commission comme de nos homologues. Pour porter ces missions exigeantes, sur lesquelles les attentes de l’opinion publique sont fortes, nous sommes en cours de consolidation de nos équipes, grâce aux moyens qui nous ont été alloués dans la loi de finances 2023 et qu’il est proposé de nous accorder dans le projet de loi de finances, si le Parlement en décide ainsi.
Par ailleurs, le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, en cours d’examen devant votre assemblée, prévoit de nous désigner coordinateur pour les services numériques pour la France aux côtés de la CNIL et de la DGCCRF. Nous nous y préparons activement. Ce texte prévoit aussi de nous confier de nouvelles missions en matière de protection des publics, notamment face aux chaînes étrangères sous sanctions européennes et aux contenus pornographiques accessibles aux mineurs.
L’Arcom va ensuite connaître une période très structurante pour l’avenir de la télévision comme de la radio, avec plusieurs dossiers majeurs :
- tout d’abord, les autorisations de quinze services de télévision arriveront à échéance en 2025, dossier à très fort enjeu pour le secteur dans lequel nous sommes d’ores et déjà engagés. Le Gouvernement a aussi souhaité que France Télévisions puisse déployer l’ultra haute définition dans la perspective des Jeux de Paris 2024, dossier qui intéresse également les groupes privés et sur lequel nous statuerons prochainement ;
- ensuite, dans le secteur de la radio, nous poursuivrons nos travaux pour étendre le DAB+ et finaliser notre livre blanc sur l’avenir de ce média, dont les conclusions seront présentées à la fin du premier trimestre 2024 ;
- enfin, un autre dossier d’ampleur est devant nous : celui des services d’intérêt général, qui vise à préserver la bonne exposition de nos acteurs nationaux et de leurs programmes dans le nouvel univers des interfaces d’accès aux services audiovisuels, dont j’ai parlé en introduction. Nous devrions statuer là aussi dans les prochaines semaines.
3.2. Enfin, de manière plus générale, l’Arcom entend accompagner les groupes audiovisuels dans leurs réorientations stratégiques
Dans le contexte que j’ai rappelé, le statu quo n’est pas une option pour nos acteurs, publics comme privés. Ils sont d’ailleurs tous engagés dans des réorientations stratégiques, qui les amènent à consentir des investissements importants. L’ensemble de ces efforts souligne d’ailleurs le dynamisme de nos opérateurs nationaux, qu’il faut saluer. Nos groupes doivent désormais aller chercher les publics là où ils sont, ce qui impose de renforcer leur stratégie digitale et éditoriale. De même, ils sont engagés dans une révision de leurs modalités de distribution, qui rend cruciale la question de la maîtrise et de la valorisation des données.
Pour les acteurs privés, cette nécessité implique de dégager de nouvelles marges de manœuvre financières, en particulier pour faire face à la concurrence sur les revenus publicitaires que j’évoquais. Face aux asymétries réglementaires, l’heure est probablement venue d’engager une réflexion sur des adaptations, qu’il s’agisse des secteurs interdits de publicité ou encore du régime des mentions légales en radio.
Pour l’audiovisuel public, le Gouvernement vient de faire connaitre la trajectoire pluriannuelle de financement qu’il propose pour la période 2024-2028. Sur ce point, l’Arcom a toujours souligné dans ses avis annuels sur l’exécution des contrats d’objectifs le rôle essentiel que jouait l’audiovisuel public dans l’équilibre du paysage. Elle a à chaque fois insisté sur l’importance qui s’attache à assurer à ces entreprises un financement pérenne et pluriannuel, de nature à préserver leur indépendance. L’Arcom a également rappelé qu’un service public fort est aussi un service public qui sait organiser, chaque fois que nécessaire, des synergies éditoriales et organisationnelles pour mieux remplir sa mission au service des Français. A cet égard, elle estime que la réussite du processus de rapprochement des réseaux régionaux de France Télévisions et Radio France exigera un pilotage opérationnel unifié.
Sur tous ces sujets, les Etats généraux de l’information qui débutent seront l’occasion d’engager une réflexion globale pour préparer l’avenir du secteur et répondre aux enjeux du moment. L’Arcom entend y apporter sa contribution, notamment par la production de deux études que nous venons de lancer, l’une consacrée aux modes d’information des Français et l’autre au marché publicitaire.
En parallèle, les travaux menés à l’échelon européen, notamment sur l’intelligence artificielle et la liberté des médias, contribueront aussi à nous doter de références et d’instruments plus adaptés aux transformations en cours, pour préserver notre modèle démocratique et culturel.
Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.