Intervention de Martin Ajdari, président de l’Arcom, à la présentation de l'édition 2025 du Baromètre du Numérique
Seul le prononcé fait foi
Madame la ministre,
Madame la présidente de l’Arcep,
Mesdames et messieurs les parlementaires
Mesdames et messieurs,
Je voudrais tout d’abord vous remercier, Madame la ministre, de nous convier ici pour la présentation de cette édition 2025 du baromètre du numérique auquel l’Arcom participe depuis 3 ans et qui est un outil très précieux pour connaître les habitudes des Français dans les deux champs de notre régulation que sont l’audiovisuel et le numérique.
Ces habitudes, ces usages, ils ont beaucoup évolué au cours des dernières années et, avant de laisser Benoît Loutrel pour présenter le volet Arcom du baromètre, je voudrais vous dire quelques mots sur les enjeux que ces évolutions emportent pour nos missions (qualité et pluralisme de l’information, financement et diffusion de la création, cohésion sociale et protection des publics).
1°) Le premier enjeu est celui de la prise en compte du numérique par la régulation audiovisuelle et par les médias traditionnels.
Comme l’indique le baromètre, la consommation linéaire de télévision (et de radio) reste prépondérante et le téléviseur occupe toujours une place centrale au cœur des foyers, même si le temps passé devant la télévision diminue (-17% entre juin 2020 et juin 2023). A l’heure du smartphone, on peut dire que le « poste » conserve un effet fédérateur dans les familles, même s’il a bien changé et qu’il s’agit, dans 88% des cas, d’une smart TV.
Le numérique a aussi profondément modifié la manière de regarder des programmes, désormais accessibles au téléspectateur où il veut, quand il veut ; il s’est accompagné de l’émergence de nouveaux acteurs, notamment les services de vidéo à la demande qui ont pris une place importante en 10 ans : plus de 50% des foyers y sont abonnés aujourd’hui.
Des services (Netflix, Amazon prime video, Disney+…) qui sont assujettis depuis 2021 aux obligations de financement des œuvres audiovisuelles et cinématographiques, sous le contrôle de l’Arcom, pour un montant de plus de 330 millions d’euros en 2023. C’est à peu près 1/5 de la contribution totale. Cette intégration harmonieuse de ces nouveaux services, issue de la directive SMA, doit impérativement être préservée face aux tentatives de remise en cause dont elle fait l’objet.
2°) Le second enjeu né de l’irruption du numérique dans nos vies est celui de l’invention d’une régulation des services numériques proprement dite.
Une régulation en partie inspirée des objectifs de la régulation traditionnelle, par exemple en matière de protection des publics ou de la propriété intellectuelle, mais en l’adaptant aux spécificités des acteurs en ligne.
L’Arcom a ainsi été désignée en 2024, coordinateur national du règlement sur le numérique (le RSN) et elle participe, à ce titre, à la mise en œuvre de la régulation européenne dite systémique, dont l’enjeu central porte sur les risques structurels liés aux très grandes plateformes ou moteurs de recherche.
Ces risques sont connus : haine en ligne, désinformation en matière électorale ou de santé publique, atteintes aux mineurs, à la santé mentale des jeunes, sans compter les arnaques ou les atteintes à la propriété intellectuelle.
Ces risques, les très grandes plateformes ont désormais l’obligation, dans le cadre du RSN, de les identifier et de prendre des mesures pour les atténuer. En étant par exemple plus transparentes sur leurs algorithmes, en identifiant les deepfake, et en traitant rapidement les signalements de contenus illicites émanant des « signaleurs de confiance », que l’Arcom a pour mission d’agréer.
La protection des mineurs est un autre exemple emblématique de ces évolutions, dont les pouvoirs publics français se sont emparés en imposant la vérification de l’âge pour l’accès aux sites pornographiques. L’Arcom vient d’enclencher les procédures prévues par la loi à l’encontre de six premiers sites qui pourront aller jusqu’au blocage ou au déréférencement. Cette action va s’étendre aux sites les plus fréquentés installés dans d’autres Etats-membres. Et la question de la vérification de l’âge et du contrôle parental n’a évidemment pas vocation à s’arrêter à la pornographie.
Cette architecture de la régulation du numérique est à la fois très récente et très ambitieuse. Elle est aussi contestée.
Son succès repose sur son appropriation par les utilisateurs. J’ai relevé ce chiffre dans le baromètre : ¾ des 18 à 24 ans utilisent les dispositifs de signalement de contenus inappropriés sur les réseaux sociaux. C’est une très bonne nouvelle car le RSN a justement pour but de redonner du pouvoir aux utilisateurs sur les algorithmes.
Et c’est cet effort de pédagogie auprès du grand public que nous devons donc poursuivre, en liaison étroite avec toutes les autorités compétentes. Car la réussite opérationnelle du RSN sera en quelque sorte un « test de résistance » pour les démocraties européennes à l’heure du numérique.