Intervention de Martin Ajdari, président de l’Arcom - ADMTV, le 26 mars 2025
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le président, cher François,
Mesdames et Messieurs les administratrices et administrateurs de l’Alliance des médias TV et Vidéo,
Mesdames et Messieurs,
Merci de m’accueillir ce matin, en ce jour où votre syndicat adopte ce nouveau nom, qui marque à la fois un tournant et un aboutissement logique, avec l’arrivée de nouveaux membres, pleinement installés dans le quotidien des Français.
Des nouveaux membres qui ont investi à eux trois près de 900 millions d’euros dans la production audiovisuelle et cinématographique entre 2021 et 2023. Des acteurs qui, venus du payant, investissent aujourd’hui aussi le terrain de la publicité dans une période où les chaînes de TV gratuites ont-elles-mêmes modernisé et enrichi leurs offres en ligne - des offres plébiscitées par le public, comme par les annonceurs.
Ce nouveau nom marque donc à la fois l’effacement de frontières qui paraissaient étanches et l’intégration réussie de nouveaux acteurs, au bénéfice de la diversité de l’offre et de la création audiovisuelle.
Les évolutions récentes de la chronologie des médias attestent également, pour le cinéma, de cette intégration progressive, vers un nouvel équilibre de notre écosystème.
Cet équilibre est toutefois fragile, notamment pour les acteurs traditionnels du secteur.
Bien sûr, la télévision linéaire structure toujours le paysage audiovisuel, avec deux tiers de la DEI. Elle reste de loin le premier média en termes de force de frappe ; le seul capable de réunir au même moment plusieurs millions voire dizaine de millions de téléspectateurs. Et elle finance près de 80 % des investissements dans la création.
Le téléviseur lui-même continue d’occuper une place centrale dans la grande majorité des foyers – 89% des Français en possèdent au moins un - là où on annonçait il y a quelques années son repli progressif au profit des écrans individuels. Cette évolution n’a donc pas eu lieu.
La plateforme TNT demeure elle aussi attractive comme l’a montré l’appel à candidatures de 2024 : 19 candidatures reçues pour 10 autorisations en gratuit ; et la sélection de deux nouvelles chaînes - T18 et OFTV - qui contribueront dès cet été à la diversité des programmes.
Il a donc des signes de résilience, de résistance, de dynamisme, et malgré les bons résultats publicitaires de 2024, nous savons que les tendances de long terme sont plus préoccupantes, comme l’étude de la DGMIC et de l’Arcom l’a montré l’année dernière. La part de marché totale de la télévision – linéaire et non linéaire – était de 28 % en 2018 ; elle est passée à 20% en 2024 et devrait passer à 17% en 2030.
Les causes de cette érosion sont connues. Certaines sont intrinsèques au média, comme la baisse de la durée d’écoute de la télévision notamment des jeunes et un certain vieillissement de son audience.
Mais la principale raison est l’accaparement du marché par les plateformes de partage de vidéo, les moteurs de recherche et les réseaux sociaux. Avec le développement des smart TV – présentes dans 40% des foyers, mais qui représentent 90% des achats – les médias traditionnels seront de plus en plus en concurrence frontale avec ces nouveaux acteurs.
Des acteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes règlementaires ou fiscales ; qui imposent leur rapport de force et qui profitent de leurs algorithmes et de la connaissance fine qu’ils ont de leurs utilisateurs.
Cette concurrence, au sein même du poste de TV, n’est donc plus théorique et je tiens à rappeler que l’Arcom a publié, en septembre dernier, la liste des « services d’intérêt général » qui, en application de la directive SMA, ont vocation à bénéficier d’une visibilité appropriée sur les principales interfaces, notamment les écrans d’accueil des téléviseurs. En clair, cela signifie que toutes les chaînes nationales gratuites de la TNT devront être accessibles sur ces interfaces, dans les mêmes conditions que les services les mieux exposés.
Depuis, l’Arcom dialogue avec les fabricants de téléviseurs pour que les interfaces intègrent ces conditions. Mais vu les enjeux en termes de visibilité et de concurrence, je ne peux qu’encourager les groupes de télévision à se concerter pour créer un point d’accès unique, un peu comme l’ont fait les radios, avec RadioPlayer.
L’Arcom se tient à votre disposition pour faire avancer ces discussions et trouver des solutions communes rapidement.
Ces tendances, ces fragilités, nous les aurons à l’esprit lorsque nous lancerons, vers la mi-avril, une consultation publique sur l’usage de la ressource hertzienne disponible depuis le retrait du groupe Canal Plus de la TNT payante.
Cette consultation sera suivie d’une étude d’impact, publiée au début du mois de juillet. Et son enjeu consistera, sans a priori, à déterminer le meilleur équilibre entre 1/ l’amélioration de la qualité du service (selon quelle norme, quelles modalités techniques, quelle couverture, avec quel coût et quel enjeu environnemental), 2/ l’augmentation éventuelle de l’offre et 3/ la soutenabilité de son financement au vu du marché. Nous serons très attentifs à toutes les contributions.
Quel que soit le résultat de cette consultation (et je vous invite vraiment à y contribuer), comme de celle qui suivra en 2026 pour la 3ème vague de la TNT, les évolutions des usages sont trop puissantes pour que nous restions attentistes sur la question des asymétries concurrentielles. Je voudrais en évoquer deux : la réglementation publicitaire et les questions de transparence.
D’abord, sur la réglementation et les restrictions publicitaires, qui relèvent, je le rappelle, du pouvoir règlementaire, l’Arcom n’étant invitée à formuler que des avis.
Sans surprise, un des premiers sujets dont on m’a parlé depuis ma prise de fonction est l’interdiction à la télévision de la publicité pour les opérations de promotion de la distribution. Il y a à mes yeux deux façons de prendre la question, dont je mesure la sensibilité.
La première est de se dire qu’une évolution n’est pas possible si elle ne garantit pas la préservation des ressources des médias essentiels et déjà fragilisés que sont la radio et la presse, et c’est une préoccupation parfaitement légitime.
La seconde est de se dire qu’il serait un peu absurde que les transferts de budgets, et en particulier la baisse tendancielle des investissements dans le courrier publicitaire imprimé, profitent essentiellement aux pure players digitaux, faute d’un inventaire suffisant pour les accueillir dans les médias historiques.
Entre ces deux préoccupations, je crois que nous devons collectivement chercher des solutions, visant à accroître les ressources globales des médias, sans que personne n’y perde.
Autres sujets, qui relèvent cette fois ci de l’Arcom : nous allons très prochainement lancer une réflexion sur les règles relatives à la publicité clandestine et sur celles applicables au placement de produits dans les programmes de flux. Je sais que cette question ne fait pas (non plus) l’unanimité. Raison de plus, là aussi, pour en parler et en évaluer sereinement les effets, à la fois en termes de recettes, mais aussi de protection du consommateur et de qualité des programmes.
De manière plus générale, l’objectif collectif doit être de viser plus d’équité et d’harmonisation entre médias traditionnels et plateformes, mais j’insiste, sans alignement par le bas de la régulation, surtout lorsqu’il s’agit de protection des consommateurs et de santé publique (alimentation, lutte contre les addictions).
J’ai pris connaissance avec intérêt de deux orientations d’un rapport d’inspection qui a été divulgué hier : la première, applicable à la radio, semble acter l’inefficacité de certaines mentions légales et invite à leur refonte ; la seconde, plus importante, fait de « l’application équitable des règles aux plateformes un préalable à tout relèvement des exigences », et elle invite à réviser les règles européennes en la matière, en particulier le principe du pays d’origine. Je pense que se sont sur ces orientations que nous devons travailler ces prochains mois.
La seconde catégorie d’asymétries concerne la transparence du fonctionnement du marché publicitaire. En France, le marché publicitaire média est transparent, avec la loi Sapin et grâce à Médiamétrie. Celui de la publicité digitale l’est moins, puisque les plateformes sont le plus souvent propriétaires de leur système de mesure d’audience, avec des méthodes de calcul souvent opaques.
Elles peuvent ainsi négocier avec des annonceurs qui n’ont ni les moyens de vérifier la réalité des audiences qu’on leur vend, ni la capacité de faire l’impasse sur les plus gros supports digitaux.
C’est une des questions dont s’est saisi le règlement européen pour la liberté des médias, dans l’objectif assumé de soutenir les médias qui produisent de l’information professionnelle, en affirmant les principes de transparence, d’impartialité et de comparabilité des systèmes de mesure d’audience.
Je sais que des travaux sont en cours au sein du « Comité cross video » de Médiamétrie, associant plusieurs plateformes pour élaborer une méthode de mesure d’audience unifiée, quel que soit le canal de diffusion. Ces initiatives vont dans le bon sens et l’Arcom est évidemment prête à y contribuer.
Pour finir, je voudrais vous faire part de deux convictions :
La première, c’est que l’enjeu pour le régulateur n’est pas de défendre les supports historiques par principe, ou parce qu’ils sont Français, même s’il y a des questions de souveraineté. L’enjeu, c’est la capacité à produire et diffuser des programmes ambitieux ; et en particulier une information de qualité ; c’est un « bien public » capital pour nos démocraties, un bien qui n’a pas de prix (particulièrement en ce moment) mais qui a un coût et donc, sa production doit être soutenue.
Ma seconde conviction est qu’à l’heure de la convergence entre audiovisuel et numérique, les logiques de confrontation entre supports (Télés, radios, presse, services délinéarisés), comme entre public et privé, n’ont plus lieu d’être. La vraie frontière se situe ailleurs : entre d’un côté, les médias qui acquièrent, produisent et diffusent, que ce soit de la création, du sport ou de l’information, et de l’autre, les supports qui captent une richesse qu’ils ne créent pas et bien souvent, ne redistribuent pas.
Nous devons donc demeurer unis autour de notre écosystème créatif, tout en intégrant, progressivement, les acteurs qui n’y sont pas encore.
Je vous remercie.