Allocution d’ouverture de Roch-Olivier Maistre
Seul le prononcé fait foi
Merci d’avoir répondu à notre invitation pour évoquer les 100 premiers jours de l’Arcom. Pour être tout à fait exact, la vraie date anniversaire sera le 10 avril – nous ne l’avons pas fait exprès ! – mais comme vous le savez, un autre évènement d’ampleur nationale a lieu ce jour-là – je veux parler bien sûr de la rediffusion des Visiteurs sur TF1. C’est donc avec quelques jours d’avance sur la date officielle que nous avons souhaité vous convier, avec les membres du Collège qui sont ici réunis autour de moi et les équipes de l’Autorité, puisque le contexte sanitaire nous le permet enfin.
100 jours, on le sait, c’est un premier cap important. Vous avez tous suivi la genèse de l’Arcom, un régulateur aux compétences élargies – je remercie la représentation parlementaire ici présente car ce quinquennat aura été riche en réformes pour nous ! – pour mieux faire face aux transformations accélérées du paysage audiovisuel. Nous avions donc à cœur avec le collège de vous tenir informés de ses premiers pas et des différents chantiers en cours. Nous voulions en particulier évoquer avec vous deux points particuliers :
Partager d’abord, ce sera le sens de mon propos, le modèle de régulation que porte l’Arcom et qu’elle va s’attacher à déployer dans les années à venir.
Nous voulions aussi vous présenter ce matin trois des nouvelles missions qui nous ont été confiées. Elles n’épuisent pas bien entendu les très nombreux dossiers – c’est peu de le dire – qui sont devant nous, dans le champ économique, culturel, sociétal ou radiophonique, mais elles illustrent les transformations en cours de l’institution.
- La première mission, qui sera présentée par Benoît Loutrel, concerne la supervision des plateformes en ligne, mission que nous déployons depuis 2019 et qui ne cesse de s’étendre, à la faveur d’initiatives législatives nationales ou européennes, avec la législation sur les services numériques qui va placer notre continent à la pointe en la matière.
- Deuxième mission, qui sera exposée par Denis Rapone, désigné par le vice-président du Conseil d’Etat au sein du collège : la lutte contre le piratage en ligne et la promotion de l’offre légale, que nous faisons vivre depuis janvier, en lien avec nos nombreux partenaires, et qui a déjà fourni des résultats très encourageants.
- Troisième mission, encore moins connue et que nous présentera Laurence Pécaut-Rivolier, désignée par la Première présidente de la Cour de cassation : le contrôle de l’activité de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication en matière de lutte contre les contenus terroristes et pédopornographiques via la plateforme Pharos, compétence à fort enjeu qui sera exercée à partir du mois de juin par Laurence et à laquelle nous nous préparons activement.
Cette présentation vous donnera un aperçu des évolutions de notre institution, avec d’un côté l’intégration de nouveaux acteurs dans le champ de la régulation, que ce soit les plateformes de vidéos par abonnement ou les réseaux sociaux par exemple, et de l’autre un élargissement de ses compétences.
Si je devais résumer d’une formule, je prendrais volontiers ce proverbe africain : « seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ». Ce que nous essayons de faire, c’est d’aller à la fois vite et loin. En ordre de marche dès le 1er janvier grâce à un long travail de préfiguration, nous nous sommes attachés à mettre en œuvre sans délai nos nouvelles missions, avec de premiers résultats que vous exposerons dans un instant mes collègues.
- Le premier point que j’aimerais aborder avec vous, c’est l’ambition que l’Arcom porte d’un modèle de régulation renouvelé
L’Arcom, c’est d’abord un régulateur à l’écoute de nos concitoyens, qui s’attache à mettre en œuvre chaque jour ses compétences dans l’intérêt des Françaises et des Français : le collège, dans toutes ses décisions, n’oublie jamais que nous sommes avant tout à leur service. Pour leur garantir l’accès à une offre politique pluraliste, singulièrement dans cette période d’échéances électorales majeures, à une information rigoureuse et de qualité, à une représentation toujours plus juste de la diversité de la société française. L’Arcom, je le rappelle, reçoit chaque jour des alertes de nos compatriotes : améliorer l’accessibilité et l’efficacité de nos procédures de recueil et de traitement des signalements est pour nous un objectif constant. Nous venons de lancer un assistant conversationnel sur les réseaux sociaux pour mieux orienter les saisines et nous allons amplifier nos efforts pour accélérer nos procédures de réponse à ces alertes et d’intervention en cas de manquements constatés.
Pour être au plus près de nos concitoyens, notre régulation est aussi bâtie sur la proximité. C’est tout le sens de notre réseau territorial, incarné par nos antennes en régions et en outre-mer, dont l’appellation va être revue. En plus du dialogue qu’elles entretiennent avec les opérateurs locaux, radios et télévisions, nous avons souhaité après ma prise de fonction que ces antennes soient également le relais actif de nos missions d’éducation aux médias et à l’information, en lien étroit avec les rectorats, y compris en matière de respect des droits d’auteur, de manipulation de l’information ou de haine en ligne.
A cet effet, nous allons engager l’actualisation de la convention qui nous lie au ministère de l’éducation nationale pour mieux embrasser ces nouveaux champs, car nous avons la conviction au sein du collège que ce maillage local et ces actions de sensibilisation, notamment auprès de la jeunesse, sont l’un des piliers structurants d’une régulation efficace.
Le modèle de régulation que nous souhaitons incarner, c’est également celui de la confiance. On retient souvent la dimension coercitive de notre action et bien sûr elle existe et nous avons à cœur de nous acquitter de nos missions en la matière du mieux possible. Mais nous croyons à la force d’un régulateur qui crée du lien, qui promeut la transparence des règles et surtout qui insuffle de la confiance dans l’espace informationnel et démocratique. Le travail en équipe et en réseau – non seulement avec le secteur régulé mais aussi avec le reste de nos partenaires, y compris et chaque jour davantage avec nos homologues européens et internationaux – est plus que jamais au cœur de la pratique du régulateur. Nous prendrons ainsi cette année la présidence du réseau des régulateurs francophones, le REFRAM, et continuerons à jouer un rôle actif – si j’osais, je dirais décisif – à l’échelle européenne au sein de l’ERGA.
Cette méthode, qui cherche à entrainer par le dialogue et la conviction, basée sur la force du débat collégial et sur une écoute attentive du secteur, est celle que j’ai souhaité incarner depuis mon arrivée à la tête du régulateur. Il est vrai et on le voit dans cette salle du 17ème étage que, comme dans la chanson de Michel Berger, « j’ai mon bureau en haut d’une tour, d’où je vois la ville à l’envers », mais notre ambition n’est pas de « contrôler [notre] univers » : elle est simplement de le comprendre, de l’accompagner dans sa transformation et de le réguler le mieux possible.
Enfin, le modèle que souhaite promouvoir l’Arcom est celui d’une régulation dynamique et souple. Nos actions n’ont pas vocation à être figées dans le temps, mais à s’adapter continuellement à l’évolution des usages, des acteurs et des technologies. Il s’agit pour nous, non pas de conserver mais d’anticiper, de prendre en compte autant que possible les mutations économiques, techniques et comportementales à l’œuvre. Elles se traduisent dans nos actions par des mesures opérationnelles, proportionnées aux objectifs fixés par le législateur ; dans les trois présentations qui vont suivre, les approches de régulation sont différemment déclinées selon les enjeux.
Jamais notre paysage audiovisuel au sens large n’a connu d’évolutions aussi majeures et rapides ; il est naturel que la régulation s’y adapte pour mieux y répondre. Dans l’époque qui s’ouvre, beaucoup reste à inventer pour bâtir ensemble les outils de la régulation de demain. C’est justement ce qui rend cette période si passionnante et je crois exprimer ici le sentiment de tous mes collègues, car nous sommes convaincus de vivre une époque formidable de transformations.
- Le second point que je voudrais évoquer, c’est que l’Arcom porte une ambition pour le paysage audiovisuel et numérique français et européen et je voudrais partager avec vous trois convictions
- La première, c’est que la boussole du régulateur doit rester la protection de la liberté de communication et de la liberté d’expression. Une liberté publique que nous devons plus que jamais considérer comme l’un des biens les plus précieux que nous avons en partage. La protéger, c’est protéger le droit d’informer, si remarquablement illustré par vos confrères qui couvrent, au risque de leur vie, la guerre en Ukraine ; c’est défendre la possibilité de débattre, au risque parfois de heurter, voire de choquer ; c’est permettre de moquer, de caricaturer, de critiquer. C’est un point auquel je suis personnellement, vous le savez, très attaché car je suis profondément convaincu, comme l’a si bien écrit Victor Hugo, que lorsqu’on sauve la liberté, « la liberté sauve le reste ». C’est pourquoi nous continuerons à combattre avec détermination, séance du collège après séance du collège, à vos côtés et avec votre aide, les phénomènes qui utilisent la liberté d’expression comme un paravent : je pense à la manipulation de l’information ou à la haine en ligne. Je le dis souvent, la loi que nous mettons en œuvre est avant tout une loi de liberté.
- La deuxième conviction, c’est que nous ne sommes jamais trop attentifs au pluralisme de l’offre audiovisuelle, qui demeure un pilier fondamental de notre démocratie. Nous l’observons d’autant plus en période électorale.
Nous avons à cet égard suivi avec attention les travaux de la commission d’enquête du Sénat, avec lesquels nous partageons la volonté de moderniser les règles anti-concentration dans le domaine des médias et de conforter l’indépendance des rédactions. Un rapport IGF-IGAC a également été remis la semaine dernière au Gouvernement et nous en attendons les conclusions. C’est dans le même esprit que nous suivons de près le projet de loi européen sur la liberté des médias (EMFA), fondé sur les valeurs de notre continent, auquel nous avons récemment contribué.
- La troisième conviction, j’ai déjà eu l’occasion de la partager à de nombreuses reprises : dans un paysage audiovisuel en pleine évolution, nous avons besoin, au côté d’une offre privée diversifiée et robuste, d’un service public fort et indépendant. Avec l’extinction l’an prochain de la taxe d’habitation, sur laquelle était assise la redevance audiovisuelle, un nouveau dispositif devra être déployé. A cet égard, d’une façon ou d’une autre, il est essentiel de fournir aux entreprises concernées par un mécanisme pluriannuel de la visibilité et de la stabilité. Forte de sa relation de proximité avec l’audiovisuel public, dont elle nomme les dirigeants – les dirigeantes devrais-je dire – et dont elle suit chaque année l’exécution des contrats d’objectifs et de moyens et le respect des cahiers des charges, l’Arcom jouera tout son rôle pour apporter sa contribution aux réflexions et décisions à venir.
Pour conduire en toute indépendance ses nouvelles missions, l’Arcom peut s’appuyer sur un collège solide et uni, composé de neuf personnalités aux compétences reconnues, sur une équipe de 355 collaborateurs et collaboratrices expérimentés répartis dans dix directions et seize antennes territoriales.
Ces atouts devront être confortés à l’avenir pour remplir nos nouvelles missions et être à la hauteur des responsabilités qui nous sont confiées. Nous travaillons en ce moment à l’élaboration d’un projet stratégique pour définir nos grandes priorités à horizon 2025, qui sera aussi l’échéance de mon mandat à la tête de l’Arcom. Nous espérons le finaliser d’ici la rentrée prochaine et vous le présenter.
Engagé depuis plusieurs années dans une profonde mutation, l’Arcom déploie ainsi ses nouvelles missions et prépare l’avenir, pour s’inscrire pleinement dans le mouvement de transformation du secteur.
Je vous remercie pour votre attention et cède sans plus tarder la parole aux membres du collège qui m’entourent.