Décision du 9 février 2023 mettant en demeure la société C8
L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique,
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment ses articles 1er, 3-1, 28 et 42 ;
Vu la décision n° 2003-309 du 10 juin 2003 modifiée et prorogée autorisant la société Bolloré Media, devenue Direct 8 puis C8, à utiliser une ressource radioélectrique pour l'exploitation d'un service de télévision à caractère national diffusé en clair par voie hertzienne terrestre en mode numérique dénommé C8 et la décision n° 2019-214 du 29 mai 2019 portant reconduction de cette autorisation ;
Vu la convention conclue entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel et la société C8, le 29 mai 2019, concernant le service de télévision C8, notamment ses articles 2-3-8 et 4-2-1 ;
Vu la délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 du Conseil supérieur de l’audiovisuel relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent, notamment son article 4 ; Vu le compte rendu de visionnage de l’émission « Touche pas à mon poste » diffusée sur le service de télévision C8 le 10 novembre 2022 ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique :
1. En premier lieu, en vertu des dispositions de l’article 42 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et des stipulations de l’article 4-2-1 de la convention du 29 mai 2019, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut mettre en demeure la société C8 de respecter les obligations qui lui sont imposées.
2. En deuxième lieu, aux termes de l’article 2-3-8 de la convention du 29 mai 2019, « l’éditeur respecte la délibération du Conseil supérieur de l’audiovisuel relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent ». Cette délibération a été prise sur le fondement du troisième alinéa de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, qui dispose que « l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique garantit l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent, sous réserve de l’article 1er de [cette] loi » affirmant le principe de la liberté de la communication au public par voie électronique.
3. En dernier lieu, l’article 4 de la délibération du 18 avril 2018 dispose que : « L'éditeur d'un service de communication audiovisuelle veille à ce que les émissions d'information et les programmes qui y concourent soient réalisés dans des conditions qui garantissent l'indépendance de l'information, notamment à l'égard des intérêts économiques de ses actionnaires et de ses annonceurs. »
Sur l’émission « Touche pas à mon poste » du 10 novembre 2022
4. Il ressort du compte rendu de visionnage de l’émission « Touche pas à mon poste » diffusée sur C8 le 10 novembre 2022 qu’un invité, député, ancien chroniqueur de l’émission, était convié à intervenir sur le sujet de l’accueil de migrants à bord d’un navire humanitaire. Alors qu’il commençait de s’exprimer sur la thématique de l’inégale répartition des richesses et, à ce titre, sur les activités en Afrique d’un actionnaire de la chaine, il a été interrompu par le présentateur de l’émission qui s’est, entre autres, exclamé : « Tu sais que tu es dans le groupe Canal ici. Tu veux parler du groupe Bolloré. Tu sais que tu es dans le groupe Bolloré ici. […] Qu’est-ce-que tu viens foutre ici ? Qu’est-ce-que tu viens foutre ici alors ? Qu’est-ce-que tu viens foutre ici alors ? […]. ». Interrogé par l’invité sur l’impossibilité qu’il avait à émettre des critiques envers un actionnaire de la chaîne, le présentateur, ainsi que certains chroniqueurs de l’émission, ont ensuite adopté un comportement agressif à son encontre et tenu des propos injurieux. Au cours de cette séquence de plus de neuf minutes, le présentateur a notamment tenu les propos suivants : « Je ne sais même pas de quoi tu parles […], on est pas venu pour ça. […]. Pourquoi t’es venu, alors ? Pourquoi tu viens ? […]. Pourquoi t’as pris de l’argent quand on t’a pris chroniqueur ? Pourquoi t’es venu ? […]. Ça te dérangeait pas de prendre de l’argent quand tu étais ici […]. On ne sait même pas de quoi tu parles. […]. Moi, je ne crache pas dans la main qui me nourrit et toi tu ne devrais pas cracher sur la main qui t’a nourri. […] ».
5. Ainsi, l’invité a été explicitement empêché d’exprimer en plateau un point de vue critique à l’égard d’un actionnaire du Groupe Canal +, auquel appartient le service de télévision C8. Par suite, l’émission n’a pas été réalisée dans des conditions qui garantissent l'indépendance de l'information à l'égard des intérêts économiques d’un de ses actionnaires.
6. Cette situation caractérise un manquement de l’éditeur aux stipulations précitées de l’article 2-3-8 de sa convention et aux dispositions précitées de l’article 4 de la délibération du 18 avril 2018, auxquelles il renvoie.
7. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de mettre en demeure la société C8 de se conformer, à l’avenir, aux stipulations précitées de l’article 2-3-8 de la convention du 29 mai 2019 ainsi qu’aux dispositions précitées de l’article 4 de la délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 du Conseil supérieur de l’audiovisuel relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent.
Après en avoir délibéré,
Décide :
Art. 1er . – La société C8 est mise en demeure de se conformer à l’avenir, en ce qui concerne le service de télévision « C8 », aux stipulations précitées de l’article 2-3-8 de la convention du 29 mai 2019 ainsi qu’aux dispositions précitées de l’article 4 de la délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 du Conseil supérieur de l’audiovisuel relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent.
Art. 2. – La présente décision sera notifiée à la société C8 et publiée au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris,
le 9 février 2023.
Pour l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique
Le président,
R.-O. MAISTRE