Décision du 17 janvier 2024 portant sanction pécuniaire à l'encontre de la Société d'exploitation d'un service d'information (S.E.S.I)

Publié le 23 janvier 2024 | Assemblée plénière 17 janvier 2024

L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique,

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment ses articles 1er, 3-1, 28, 42-1, 42-2 et 42-7 ;

Vu le décret n° 2013-1196 du 19 décembre 2013 modifié relatif à la procédure de sanction mise en oeuvre par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique en application de l’article 42-7 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;

Vu la décision n° 2005-473 du 19 juillet 2005 modifiée et prorogée autorisant la Société d'exploitation d'un service d'information (S.E.S.I.) à utiliser une ressource radioélectrique pour l'exploitation d'un service de télévision à caractère national diffusé en clair par voie hertzienne terrestre en mode numérique initialement dénommé « i Télé » puis, à compter de la décision n° 2016-680 du 27 juillet 2016, « CNews », et la décision n° 2019-582 du 11 décembre 2019 portant reconduction de l’autorisation du 19 juillet 2005 ;

Vu la convention conclue entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel et la Société d’exploitation d’un service d’information (S.E.S.I), le 27 novembre 2019, concernant le service de télévision CNews, notamment son article 2-3-7 ;

Vu la décision n° 2022-288 du 10 mai 2022 mettant en demeure la Société d’exploitation d’un service d’information (S.E.S.I.) ;

Vu la décision n° 2022-289 du 10 mai 2022 mettant en demeure la Société d’exploitation d’un service d’information (S.E.S.I.) ;

Vu la délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 du Conseil supérieur de l’audiovisuel relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent, notamment son article 1er ;

Vu les éléments de visionnage de l’émission « La matinale week-end » diffusée sur le service « CNews » le 24 septembre 2022 et le compte-rendu y afférant, dont le collège a pris connaissance ;

Vu les éléments de visionnage de l’émission « Midi news week-end » diffusée sur le service « CNews » le 24 septembre 2022 et le compte-rendu y afférant, dont le collège a pris connaissance ;

Vu les éléments de visionnage de l’émission « Face à l’info » diffusée sur le service « CNews » le 26 septembre 2022 et le compte-rendu y afférant, dont le collège a pris connaissance ;

Vu le courrier du 15 mai 2023 du rapporteur mentionné à l’article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986 notifiant à la Société d’exploitation d’un service d’information (S.E.S.I) la décision d’engager à son encontre une procédure de sanction et l’invitant à présenter ses observations dans le délai d’un mois ;

Vu le courriel du 26 mai 2023 par lequel la Société d’exploitation d’un service d’information (S.E.S.I) a sollicité la communication des pièces du dossier, lesquelles lui ont été adressées par le directeur général de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique par courrier le 2 juin 2023 ;

Vu les observations de la Société d’exploitation d’un service d’information (S.E.S.I) communiquées par courriel du 19 juin 2023 ;

Vu le rapport établi par le rapporteur et communiqué à la Société d’exploitation d’un service d’information (S.E.S.I), ses conseils, ainsi qu’au président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique par courriers du 6 décembre 2023 ;

Vu la décision du 13 décembre 2023 par laquelle l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique a décidé de ne pas faire usage de la faculté qu’elle tient du 6° de l’article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986 ;

Vu le courriel du 21 décembre 2023 par lequel la Société d’exploitation d’un service d’information (S.E.S.I) a décliné la possibilité de rendre publique l’audition du 10 janvier 2024 devant l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, en réponse au courrier de cette dernière en date du 8 décembre 2023 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Lors de la séance du 10 janvier 2024, l’Autorité a entendu le rapporteur ainsi que M. Gérald Brice Viret, directeur général de Canal+ France en charge des antennes et des programmes, M. Thomas Bauder, directeur de la rédaction de CNews, M. Christophe Roy, directeur des affaires réglementaires et concurrence du groupe Canal +, Mme Laetitia Menase, secrétaire générale du groupe Canal + et Me Eleni Moraïtou.

 

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. En premier lieu, en vertu de l’article 42-1 de la loi du 30 septembre 1986 : « Si la personne faisant l'objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut prononcer à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, et à la condition que celui-ci repose sur des faits distincts ou couvre une période distincte de ceux ayant déjà fait l'objet d'une mise en demeure, une des sanctions suivantes : […] 3° Une sanction pécuniaire assortie éventuellement d'une suspension de l'édition ou de la distribution du ou des services ou d'une partie du programme […] ». L’article 42-2 de cette même loi dispose que : « Le montant de la sanction pécuniaire doit être fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages tirés du manquement, sans pouvoir excéder 3 % du chiffre d'affaires hors taxes, réalisé au cours du dernier exercice clos calculé sur une période de douze mois. Ce maximum est porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation. »

2. En deuxième lieu, aux termes du troisième alinéa de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, « l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique garantit l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent, sous réserve de l’article 1er de [cette] loi » affirmant le principe de la liberté de la communication au public par voie électronique. Sur ce fondement, l’article 1er de la délibération du 18 avril 2018 dispose que l’éditeur « doit assurer l’honnêteté de l’information et des programmes qui y concourent. / […] / Il fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information. / Il veille au respect d’une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l’expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d’antenne ». Par ailleurs, l’article 2-3-7 de la convention du 27 novembre 2019 stipule que « l’exigence d’honnêteté s’applique à l’ensemble des programmes. L’éditeur respecte la délibération du Conseil supérieur de l’audiovisuel relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent ».

3. En troisième lieu, par une décision du 10 mai 2022, la Société d’exploitation d’un service d’informations (S.E.S.I.) a été mise en demeure de respecter à l’avenir, concernant le service CNews, les dispositions de l’article 1er de la délibération du 18 avril 2018 relatives à l’obligation d’honnêteté et de rigueur de l’information, ainsi que celles relatives à l’expression des différents points de vue sur les questions prêtant à controverse, auxquelles renvoient les stipulations de l’article 2-3-7 de la convention du 27 novembre 2019. Par ailleurs, par une seconde décision du 10 mai 2022, la Société d’exploitation d’un service d’informations (S.E.S.I.) a été mise en demeure de respecter à l’avenir, concernant le service CNews, les dispositions de l’article 1er de la délibération du 18 avril 2018 relatives à l’obligation d’honnêteté et de rigueur de l’information, auxquelles renvoient les stipulations de l’article 2-3-7 de la convention du 27 novembre 2019.

 

Sur l’émission « Face à l’info » diffusée le 26 septembre 2022 :

4. Il ressort du compte rendu de visionnage de l’émission « Face à l’info » diffusée le 26 septembre 2022 qu’a été évoqué, au cours de ce programme d’information et d’actualités, un « classement » international des villes les plus sûres réalisé par le site Numbeo, une base de données alimentée par ses utilisateurs. Le sujet a été introduit par la présentatrice en ces termes : « […] Tout ça arrive dans un contexte de déclassement de la France au niveau de la sécurité, la France est le dernier des pays européens dans le classement, parmi ceux comptant au moins quatre villes évaluées, et elle se classe derrière le Mexique, en troisième position en partant de la fin devançant seulement le Brésil et l’Afrique du Sud, la France plonge en matière d’insécurité, réactions. » Les personnes présentes en plateau ont alors toutes exprimé un point de vue analogue : « […] Sur la sécurité comme dans d’autres domaines, eh bien voilà, c’est documenté. […] Non mais vous vous rendez compte le Mexique, par rapport au Mexique, un pays qui est gangréné […] », « Encore des faits divers probablement, quand je critique le concept de faits divers, c’est que tout ça, c’est le symptôme d’une désagrégation généralisée, d’une insécurité qui devient norme politique et sociale, mais on disperse tout cela dans l’actualité sur le mode "faits divers". », « Non mais en effet, c’est exactement ce à quoi je suis en train de penser. […] ». Les propos tenus ont été accompagnés d’un bandeau indiquant « Insécurité en France : le grand déclassement » ainsi qu’à deux reprises d’un graphique intitulé « Classement des pays les plus sûrs ».

 

En ce qui concerne l’obligation d’honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information :

5. Il ressort du compte rendu de visionnage de cette émission que les résultats du « classement » Numbeo ont été présentés par les personnes présentes en plateau comme des faits établis, propos étayés par un bandeau et un graphique incrustés à l’écran.

6. Or, Numbeo est un site fondé sur le recueil de données provenant d’avis émis par les personnes le visitant, et non sur le sondage d’un échantillon représentatif de la population. Aucune garantie n’est prise concernant l’identité des votants, leur représentativité ou encore leur connaissance des villes au sujet desquelles ils s’expriment. De tels résultats sont donc dépourvus de tout caractère scientifique. Par ailleurs, ce « classement » n’est fondé sur aucune donnée chiffrée officielle.

7. Dès lors, l’évocation de ce « classement » aurait dû appeler à des précautions de la part de l’éditeur, qui ne pouvait présenter les résultats de ce dernier comme des faits établis. Ni le détail de sa méthodologie, ni les écueils de cette dernière n’ont été présentées à l’antenne. Ainsi, la présentation du « classement » Numbeo faite par l’éditeur dans la séquence du 26 septembre 2022, était de nature à faire croire aux téléspectateurs que ce « classement » était fondé sur des chiffres établis, alors que tel n’est pas le cas.

8. En conséquence, concernant cette séquence, l’éditeur ne s’est pas conformé à son obligation de faire preuve d’honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information. Il a ainsi méconnu les stipulations de l’article 2-3-7 de sa convention et les dispositions de l’article 1er de la délibération du 18 avril 2018, auxquelles il renvoie.
En ce qui concerne l’obligation d’expression des différents points de vue sur des questions prêtant à controverse :

9. Il ressort également du compte rendu de visionnage de la séquence mentionnée au point 4 que les personnes présentes en plateau ont toutes déploré ce résultat et formulé une opinion identique sur la dangerosité de la France et notamment de Paris par rapport à d’autres villes et pays dans le monde, aboutissant à un déséquilibre marqué dans le traitement de ce sujet, a fortiori sur le seul fondement d’un « classement » contestable présenté à tort comme un fait établi, ainsi qu’il a été exposé aux points 5 à 8.

10. Or, le thème de l’insécurité est un sujet d’intérêt général particulièrement sensible. Il relève des questions prêtant à controverse et nécessite de ce fait que l'éditeur assure l'expression de différents points de vue.

11. Dès lors, cette situation caractérise un manquement de l’éditeur, pour cette séquence, aux stipulations de l’article 2-3-7 de sa convention et aux dispositions de l’article 1er de la délibération du 18 avril 2018, auxquelles il renvoie, selon lesquelles l’éditeur est tenu d’assurer l’expression des différents points de vue sur les questions prêtant à controverse.

 

Sur la sanction prononcée :

12. Au regard de la nature des manquements constitutifs d’une méconnaissance des dispositions de l’article 1er de la délibération du 18 avril 2018 relatives à l’obligation d’honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information, ainsi qu’à l’obligation d’expression des différents points de vue sur les questions prêtant à controverse, il y a lieu de prononcer une sanction de 50 000 euros, à l’encontre de la Société d'exploitation d'un service d'information (S.E.S.I.).

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de procéder également à la publication de la présente décision au Journal officiel de la République française ainsi que sur le site internet de l’Autorité.

 

Après en avoir délibéré,

Décide :

Art. 1er. – Une sanction pécuniaire d’un montant de 50 000 euros est prononcée à l’encontre de la Société d'exploitation d'un service d'information (S.E.S.I.). Cette somme sera affectée au Centre national du cinéma et de l’image animée en application de l’article L. 116-5 du code du cinéma et de l’image animée.

Art. 2. – La présente décision sera notifiée à la Société d'exploitation d'un service d'information (S.E.S.I.) et publiée au Journal officiel de la République française ainsi que sur le site internet de l’Autorité.

Délibéré le 17 janvier 2024 par M. Roch-Olivier Maistre, président, M. Hervé Godechot, Mme Juliette Théry, Mme Anne Grand d’Esnon, M. Denis Rapone, Mme Laurence Pécaut-Rivolier, Mme Bénédicte Lesage et M. Antoine Boilley, membres.

 

Fait à Paris, le 17 janvier 2024.

Pour l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

Le président

R.-O. MAISTRE

 

Décision du 17 janvier 2024 portant sanction pécuniaire à l'encontre de la Société d'exploitation d'un service d'information (S.E.S.I)