Avis du 19 avril 2023 de l’Arcom sur l’article 4 du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique
L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique,
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment son article 9 ;
Vu la saisine pour avis, le 6 avril 2023, par le Gouvernement, de l’article 4 du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique.
Après en avoir délibéré,
Emet l’avis suivant :
A titre liminaire, l’Arcom souligne que la liberté de communication, et singulièrement la liberté des médias, sont des principes démocratiques cardinaux. Si ces principes fondamentaux demandent à être conciliés avec d’autres objectifs d’intérêt général, au nombre desquels la protection des publics et celle de l’ordre public, des garanties fortes contre toute atteinte disproportionnée ou arbitraire à la liberté d’expression sont nécessaires.
Tel est l’objet essentiel de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui s’inscrit dans le cadre européen défini par la directive « Services de médias audiovisuels ».
Ce cadre législatif prévoit d’ores et déjà des dispositions propres à permettre au régulateur d’intervenir à l’encontre de chaînes, notamment étrangères, qui diffusent des programmes attentatoires à la dignité humaine, incitant à la violence à l’encontre de certaines populations ou encore manquant de manière grave et répétée à l’obligation d’honnêteté de l’information. L’Arcom a notamment, sur le fondement de ces dispositions, fait cesser en 2022 la diffusion de plusieurs chaînes de télévision russes à raison des programmes qu’elles diffusaient, dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie.
Ces dispositions existantes ont vocation à être renforcées et complétées par la proposition de règlement européen pour la liberté des médias (European Media Freedom Act - EMFA), présentée par la Commission européenne en septembre 2022 et soumise à adoption par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. Cette proposition vise en effet, en son article 16, à coordonner les mesures prises par les régulateurs des Etats membres à l’encontre de médias établis hors de l’Union européenne et placés sous le contrôle d’un Etat tiers. L’Arcom a salué cette initiative et a formulé, dans le cadre du Groupe européen des régulateurs des services de médias audiovisuels (European Regulators Group for Audiovisual media services – ERGA), des propositions tendant à renforcer davantage l’efficacité de ces dispositions.
Compte tenu de l’importance qui s’attache à la protection de la liberté de communication, l’Arcom souligne que ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que des mesures telles que les sanctions prises sur le fondement de l’article 215 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, exorbitantes du cadre spécifique aux médias audiovisuels, devraient pouvoir être envisagées à l’encontre d’éditeurs de services de médias audiovisuels.
Tel a été le cas lorsque, consécutivement à l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie, le Conseil de l’Union européenne a suspendu la diffusion des contenus issus de RT France et de plusieurs chaînes de télévision russes par des règlements et des décisions PESC du 1er mars, du 3 juin et du 16 décembre 2022, modifiant le règlement n° 833/2014 du 31 juillet 2014.
Ces décisions, que l’Arcom a sans délai portées à la connaissance des acteurs relevant de son champ de compétence, lesquels s’y sont promptement conformés, n’ont toutefois pas fait l’objet de mesures propres à en garantir la pleine mise en œuvre.
Dans ce contexte, l’Arcom accueille favorablement le projet dont elle est saisie, qui renforce ses prérogatives et élargit son champ de compétences pour veiller à l’application effective des sanctions prises par l’Union européenne sur le fondement de l’article 215 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne portant sur l’interdiction de diffusion de contenus de services de communication audiovisuelle.
Elle entend toutefois formuler les remarques suivantes.
I - Remarques générales sur l’article 4
La structure générale des dispositions de l’article 4 repose sur deux régimes distincts, l’un applicable aux opérateurs établis en France et relevant de la communication audiovisuelle régie par la loi du 30 septembre 1986 (éditeurs, distributeurs et opérateurs satellitaires), l’autre applicable aux opérateurs relevant de la communication au public en ligne régie par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique - LCEN (éditeurs, hébergeurs, fournisseurs d’accès, annuaire et moteurs de recherche). Une telle distinction apparaît pertinente à l’Autorité.
II - Principales observations sur le projet de loi
1. Sur les dispositions du I de l’article 4 concernant les opérateurs relevant de la loi du 30 septembre 1986
Les dispositions du I de l’article 4 viennent modifier les dispositions de l’article 42 de la loi du 30 septembre 1986. Elles offrent deux voies de droit au régulateur.
D’une part, elles permettent à l’Arcom de mettre en demeure les opérateurs de respecter les obligations imposées par les dispositions prises sur le fondement de l’article 215 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Dans l’hypothèse où cette mise en demeure ne serait pas suivie d’effet, son destinataire pourrait faire l’objet d’une procédure de sanction, en application des dispositions de l’article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986.
D’autres part, elles viennent également modifier les dispositions de l’article 42-10 relatif à la procédure en référé portée devant le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, afin que le président de l’Arcom puisse demander au juge administratif d’enjoindre au destinataire de la mise en demeure de respecter les obligations issues des dispositions prises sur le fondement de l’article 215 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de cesser la diffusion des contenus visés.
Ces dispositions n'appellent pas de remarque particulière de l’Autorité.
2. Sur les dispositions du II de l’article 4 concernant les opérateurs relevant de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique
S’agissant de la demande de faire cesser la diffusion
Les dispositions du II de l’article 4 modifient l’article 11 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et permettent à l’Arcom d’intervenir à l’encontre de certains opérateurs relevant de la communication au public en ligne. L’Arcom pourra notamment demander que l’accès à certains services de communication au public en ligne soit empêché. L’Autorité souligne l’importance qui s’attachera à faire un usage proportionné de cette faculté de blocage administratif.
a. L’Arcom relève que le champ d’application prévu au I de l’article 11 comprend les éditeurs et les hébergeurs, sans pour autant que le texte ne renvoie explicitement aux catégories et définitions de la loi du 21 juin 2004. Elle estime que le renvoi aux dispositions du 2 du I et au III de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004, relatives à l’hébergeur et à l’éditeur, pourrait venir utilement clarifier le champ d’application du texte. L’Autorité observe en outre que d’autres personnes susceptibles de contribuer à la diffusion des contenus visés n’entrent pas dans le champ d’application prévu au I de l’article 11. C’est le cas en particulier des fournisseurs d’applications ou de magasins d’applications, qui sont appelés à jouer un rôle croissant dans l’accès aux médias. Il en est de même d’autres acteurs comme les VPN ou les fournisseurs de DNS alternatifs, notamment.
L’Arcom relève par ailleurs que les dispositions évoquent tantôt la « demande », tantôt l’« injonction » adressée aux hébergeurs et éditeurs. Par souci de cohérence d’ensemble du texte, elle suggère d’employer uniformément les termes de « mise en demeure » dans les dispositions du I et du II de l’article 11 de la loi du 21 juin 2004 modifié par le II de l’article 4.
b. Le II de ce même article 11 prévoit qu’en cas d’inexécution de l’injonction par leurs destinataires, l’Arcom peut notifier aux fournisseurs d’accès à internet la liste des services dont il est demandé qu’il soit mis fin à leur accès.
La même observation que précédemment peut être formulée, tenant à ce qu’il soit renvoyé aux dispositions et catégories de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour les fournisseurs d’accès.
Dans l’hypothèse où l’Arcom ne parviendrait pas à identifier l’éditeur ou l’hébergeur des contenus visés, elle pourrait alors demander directement aux fournisseurs d’accès à internet le blocage des service concernés. Cette faculté répond à la possible difficulté qu’aura l’Autorité à trouver les éléments d’identification des éditeurs et hébergeurs.
c. L’Arcom relève qu’un renvoi apparaît erroné dans la rédaction du II de l’article lorsqu’il est écrit : « Toutefois, en l'absence d’éléments d’identification de la personne fournissant des services d’hébergement ou de la personne éditant le service de communication au public en ligne en cause, l’autorité peut procéder à la notification prévue à la première phrase du I du présent article ». La notification en question est en effet probablement celle visée à la première phrase du II. En conséquence, la phrase pourrait être rédigée ainsi : « Toutefois, en l'absence d’éléments d’identification de la personne fournissant des services d’hébergement ou de la personne éditant le service de communication au public en ligne en cause, l'autorité peut procéder à cette notification […]. »
d. L’Arcom pourra également demander aux moteurs de recherche et aux annuaires de prendre toute mesure pour faire cesser le référencement des services contrevenants. Cette disposition n’appelle pas d’observation.
e. Le texte prévoit que l’Arcom peut agir d’office ou sur saisine du ministère public, ou de toute personne physique ou morale ayant intérêt pour agir.
Or, toute personne peut saisir l’Arcom, à charge pour elle, dans l’hypothèse d’un recours juridictionnel, de démontrer qu’elle a un intérêt pour agir contre une décision défavorable. C’est pourquoi l’Arcom propose de supprimer ces termes, lesquels ne sont pas pertinents pour départager les personnes pouvant la saisir de ceux qui ne le peuvent pas.
S’agissant de la possibilité d’une procédure de sanction contre les opérateurs relevant de la loi du 21 juin 2004
Le IV de l’article 11 de la loi du 21 juin 2004 modifié par le II de l’article 4 prévoit la possibilité pour l’Arcom, dans le respect des dispositions de l’article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986, de prononcer une sanction administrative contre les éditeurs ou les hébergeurs.
a. L’article prévoit le prononcé d’une sanction pécuniaire, en fonction de la gravité du manquement, ne pouvant excéder certains plafonds, selon que le chiffre d’affaires est connu ou non.
L’Arcom relève qu’il sera en pratique difficile d’exécuter une telle sanction à l’encontre d’éditeurs ou d’hébergeurs établis hors de France.
b. Les conditions de la « récidive », qui permet un rehaussement des plafonds, n’appellent pas d’observation : elles correspondent aux termes de la décision n° 2021-826 DC du 21 octobre 2021 du Conseil constitutionnel sur la loi relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique, exigeant des conditions précises de récidive, notamment en matière de délai.
d. Le dernier alinéa, qui rappelle la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de cumul de sanction pénale et administrative, n’appelle pas d’observation.
Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris,
le 19 avril 2023.
Pour l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique :
Le président,
R.-O. MAISTRE
Avis du 19 avril 2023 de l’Arcom sur l’article 4 du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique
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